Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 1.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le chef et le patron se séparèrent, chacun retournant à sa pensée, et peu après la Matutina sortit du golfe.

Les grands balancements du large commencèrent.

La mer, dans les écartements de l’écume, était d’apparence visqueuse ; les vagues, vues dans la clarté crépusculaire à profil perdu, avaient des aspects de flasques de fiel. Çà et là une lame, flottant à plat, offrait des fêlures et des étoiles, comme une vitre où l’on a jeté des pierres. Au centre de ces étoiles, dans un trou tournoyant, tremblait une phosphorescence, assez semblable à cette réverbération féline de la lumière disparue qui est dans la prunelle des chouettes.

La Matutina traversa fièrement et en vaillante nageuse le redoutable frémissement du banc Chambours. Le banc Chambours, obstacle latent à la sortie de la rade de Portland, n’est point un barrage, c’est un amphithéâtre. Un cirque de sable sous l’eau, des gradins sculptés par les cercles de l’onde, une arène ronde et symétrique, haute comme une Yungfrau, mais noyée, un colysée de l’océan entrevu par le