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plongeur dans la transparence visionnaire de l’engloutissement, c’est là le banc Chambours. Les hydres s’y combattent, les léviathans s’y rencontrent ; il y a là, disent les légendes, au fond du gigantesque entonnoir, des cadavres de navires saisis et coulés par l’immense araignée Kraken, qu’on appelle aussi le poisson-montagne. Telle est l’effrayante ombre de la mer.

Ces réalités spectrales ignorées de l’homme se manifestent à la surface par un peu de frisson.

Au dix-neuvième siècle, le banc Chambours est en ruine. Le brise-lames récemment construit a bouleversé et tronqué à force de ressacs cette haute architecture sous-marine, de même que la jetée bâtie au Croisic en 1760 y a changé d’un quart d’heure l’établissement des marées. La marée pourtant, c’est éternel ; mais l’éternité obéit à l’homme plus qu’on ne croit.