Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 2.djvu/211

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d’où le monde est absent, c’est une suprême détresse, moindre pourtant que celle-ci : être sa propre énigme ; sentir aussi quelque chose d’absent qui est soi-même ; voir l’univers et ne pas se voir. Dea avait un voile, la nuit, et Gwynplaine avait un masque, sa face. Chose inexprimable, c’était avec sa propre chair que Gwynplaine était masqué. Quel était son visage, il l’ignorait. Sa figure était dans l’évanouissement. On avait mis sur lui un faux lui-même. Il avait pour face une disparition. Sa tête vivait et son visage était mort. Il ne se souvenait pas de l’avoir vu. Le genre humain, pour Dea comme pour Gwynplaine, était un fait extérieur ; ils en étaient loin ; elle était seule, il était seul ; l’isolement de Dea était funèbre, elle ne voyait rien ; l’isolement de Gwynplaine était sinistre, il voyait tout. Pour Dea, la création ne dépassait point l’ouïe et le toucher ; le réel était borné, limité, court, tout de suite perdu ; elle n’avait pas d’autre infini que l’ombre. Pour Gwynplaine, vivre, c’était avoir à jamais la foule devant soi et hors de soi. Dea était la proscrite de la lumière ; Gwynplaine était le banni de la vie. Certes, c’étaient là deux dé-