Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 2.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur amour. Gwynplaine sauvait Dea. Dea sauvait Gwynplaine. Rencontre de misères produisant l’adhérence. Embrassement d’engloutis dans le gouffre. Rien de plus étroit, rien de plus désespéré, rien de plus exquis.

Gwynplaine avait une pensée :

— Que serais-je sans elle ?

Dea avait une pensée :

— Que serais-je sans lui ?

Ces deux exils aboutissaient à une patrie ; ces deux fatalités incurables, le stigmate de Gwynplaine, la cécité de Dea, opéraient leur jonction dans le contentement. Ils se suffisaient, ils n’imaginaient rien au delà d’eux-mêmes ; se parler était un délice, s’approcher était une béatitude ; à force d’intuition réciproque, ils en étaient venus à l’unité de rêverie ; ils pensaient à deux la même pensée. Quand Gwynplaine marchait, Dea croyait entendre un pas d’apothéose. Ils se serraient l’un contre l’autre dans une sorte de clair-obscur sidéral plein de parfums, de lueurs, de musiques, d’architectures lumineuses, de songes ; ils s’appartenaient ; ils se savaient ensemble à jamais dans la même joie et dans la même extase ; et