Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 4.djvu/40

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Les deux brehaignes, abruties d’obéissance, s’installèrent avec leurs instruments à leur place habituelle aux deux angles du panneau abaissé.

Alors Ursus devint extraordinaire. Ce ne fut plus un homme, ce fut une foule. Forcé de faire la plénitude avec le vide, il appela à son secours une ventriloquie prodigieuse. Tout l’orchestre de voix humaines et bestiales qu’il avait en lui entra en branle à la fois. Il se fit légion. Quelqu’un qui eût fermé les yeux eût cru être dans une place publique un jour de fête ou un jour d’émeute. Le tourbillon de bégaiements et de clameurs qui sortait d’Ursus chantait, clabaudait, causait, toussait, crachait, éternuait, prenait du tabac, dialoguait, faisait les demandes et les réponses, tout cela à la fois. Les syllabes ébauchées rentraient les unes dans les autres. Dans cette cour où il n’y avait rien, on entendait des hommes, des femmes, des enfants. C’était la confusion claire du brouhaha. À travers ce fracas, serpentaient, comme dans une