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Page:Hugo - Légende des siècles, Hachette, 1920, 1e série, volume 1.djvu/22

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II


LE PROSCRIT DE JERSEY.


C’est à Marine-Terrace, roule de Saint-Clément, dans une maison de banale apparence, à douze cents mètres à l’est de Saint-Hélier, que V. Hugo vint s’établir avec sa famille.

Quand on débarque à Gorey et qu’on suit la côte pour se rendre à Saint-Hélier, l’on est frappé par la grâce de l’île de Jersey : champs enclos de verdure, collines couronnées de bois, maisonnettes élégantes, végétation fraîche et fleurie ; on dirait quelque paysage aimable d’opérette légère. Rien n’y apparaît grave. Qu’on pénètre dans l’intérieur, l’île sourit encore dans l’opulence de ses blés, dans l’abondance de ses vergers, et dans la poussée luxuriante des herbes de ses prairies ; ses forêts en miniature sont pareilles à des serres où fleurissent, à côté des camélias épanouis, des fuchsias arborescents ; il n’est pas rare d’y rencontrer des hortensias bleus, des rhododendrons blancs, mauves ou pourpres.

Dans la lumière tamisée par les branches s’ouvrent des allées tendrement et familièrement pittoresques, qui portent le joli nom de « sentes d’amour », love lanes, comme si toute cette coquette nature était le décor élégant et naïf des seules douceurs et des seules joies de la vie. Les fêtes paysannes y abondent : le cultivateur y est riche et l’existence peu coûteuse. Le climat y est tempéré, il n’y gèle point, et, même pendant l’hiver, la campagne y garde son aspect de printemps.

Mais, tout au moins au début de son séjour, V. Hugo fut insensible à ces grâces de la terre d’exil. Le quadrilatère de maçonnerie, le « tombeau » qu’il occupait à Marine-Terrace semblait tourner le dos à l’île, et d’ailleurs, le proscrit regardait obstinément la ville ou la mer.

Toute la description que donne V. Hugo de Marine-Terrace au début de William Shakespeare est pénétrée d’une poignante tristesse ; c’est une page révélatrice du premier état d’âme du poète :

Il y a une douzaine d’années, dans une île voisine des côtes de