Page:Hugo - Légende des siècles, Hachette, 1920, 1e série, volume 1.djvu/23

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France, une maison, d’aspect mélancolique en toute saison, devenait particulièrement sombre à cause de l’hiver qui commençait. Le vent d’ouest, soufflant là en pleine liberté, faisait plus épaisses encore sur cet e demeure toutes ces enveloppes de brouillard que novembre met entre la vie et le soleil — La petitesse des fenêtres s’ajoutait à la brièveté des jours et aggravait la tristesse crépusculaire de la maison… La maison, qui avait une terrasse pour toit, était toute blanche. Rien n’est glacial comme cette blancheur anglaise : elle semble vous offrir l’hospitalité de la neige…

Puis il ajoute, après avoir décrit l’intérieur de l’habitation :

Tel était ce logis. Le bruit de la mer toujours entendu. Cette maison, lourd cube blanc à angles droits, choisie par ceux qui l’habitaient sur la désignation du hasard, parfois intentionnelle, peut-être, avait la forme d’un tombeau… L’arrivée y fut lugubre[1].

Tout semble fait, pendant les trois années de séjour de V. Hugo à Jersey, pour aigrir l’humeur sombre et sauvage de l’exilé.

Où donc l’esprit de V. Hugo eût-il pu trouver le calme ? Ses regards se portaient-ils sur la ville de Saint-Hélier, où vivait un groupe de proscrits ? Il y sentait peser la surveillance et la malveillance impériales. « Votre exil est hanté par ce spectre : l’espion ![2] » Charles Hugo, dans son livre : Les Hommes de l’Exil[3], a longuement raconté le détail des persécutions incessantes et quotidiennes qui s’acharnaient sur les réfugiés. « La douane de la frontière maritime qui regarde les îles de la Manche ne se reposait ni jour ni nuit ; on fouillait et on faisait déshabiller les voyageurs et les voyageuses. On interceptait le moindre papier. On détruisait jusqu’au portrait des exilés… Les tas de varechs échelonnés sur la grève étaient bouleversés et jetés au vent, sous prétexte qu’ils pouvaient receler des brochures politiques. »

Mais, plus encore que les menues vexations de l’autorité, ce qui contribuait à irriter l’inquiétude nerveuse des hommes de l’exil, c’était le constant état de défiance où ils étaient

  1. William Shakespeare, I, I.
  2. Actes et Paroles. Pendant l’Exil, Ce que c’est que l’exil, IV.
  3. Ch. Hugo, Les Hommes de l’Exil. Paris, Lemerre, 1875, in-12, p. 180 et sq.