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Page:Hugo - Légende des siècles, Hachette, 1920, 1e série, volume 1.djvu/25

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de l’embrun et des effluves salines. Le milieu de l’île atténue la violence de l’atmosphère océanienne par son épaisse végétation : les grasses cultures et les arbres prodigieusement élevés y absorbent le sel des brises, et filtrent pour ainsi dire l’excès d’alcalinité de l’air. Mais ici rien de pareil. Le large souffle de l’océan débouche sans obstacle sur Marine-Terrace, et, de la plate-forme, V. Hugo peut apercevoir tous les combats de la vague contre les rochers monstrueux ; l’influence de l’océan s’étend à son être entier : l’accélération des fonctions respiratoires et de la circulation s’accompagne chez l’hôte de Marine-Terrace d’une constante excitation de l’acuité visuelle et de la force cérébrale[1].

« Les orages sur l’Archipel de la Manche sont terribles. Les archipels sont les pays du vent. Entre chaque île, il y a un corridor qui fait soufflet. Loi mauvaise pour la mer...

« Presque jamais de repos, dans ce coin de l’Océan...

« Dans l’Archipel de la Manche, la côte est presque partout sauvage. Ces îles sont de riants intérieurs, d’un abord âpre et bourru. La Manche étant une quasi Méditerranée, la vague est courte et violente, le flot est un clapotement. De là un bizarre martellement des falaises et l’affouillement profond de la côte... Rien de plus étrange, d’énormes crapauds de pierre sont là, sortis de l’eau sans doute pour respirer; des nonnes géantes se hâtent, penchées sur l’horizon ; les plis pétrifiés de leur voile ont la forme de la fuite du vent; des êtres quelconques enfouis dans la roche dressent leurs bras dehors, on voit des mains ouvertes : tout cela, c’est la côte informe À mesure qu’on avance, ou qu’on s’éloigne, ou qu’on dérive, ou qu’on tourne, la rive se défait. Pas de kaléidoscope plus prompt à l’écroulement : les aspects se dégagent pour se recomposer ; la perspective fait des siennes : ce bloc est un trépied, puis c’est un lion, puis c’est un ange, et il ouvre les ailes, puis c’est une figure assise qui lit dans un livre. Rien ne change de forme comme les nuages, si ce n’est les rochers. Ces formes éveillent l’idée de grandeur, non

  1. Michelet écrit de V. Hugo à cette époque qu’il a « une force fouettée, la force d’un homme qui marche pendant des heures dans le vent et prend deux bains de mer par jour ».