Page:Hugo - Légende des siècles, Hachette, 1920, 1e série, volume 1.djvu/263

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Saignant, fumant, infect, ce charnier de géants Semblait fait pour pourrir le squelette du monde. Des torturés râlaient sur cette rampe immonde, Juifs sans langue, poltrons sans poings, larrons sans yeux ; Ainsi que dans le cirque atroce et furieux L’agonie était là, hurlant sur chaque marche. Le noir gouffre cloaque au fond ouvrait son arche Où croulait Rome entière ; et, dans l’immense égout, Quand le ciel juste avait foudroyé coup sur coup, Parfois deux empereurs, chiffres du fatal nombre, Se rencontraient, vivants encore, et, dans cette ombre, Où les chiens sur leurs os venaient mâcher leur chair, Le César d’aujourd’hui heurtait celui d’hier. Le crime sombre était l’amant du vice infâme. Au lieu de cette race en qui Dieu mit sa flamme, Au lieu d’Ève et d’Adam, si beaux, si purs tous deux, Une hydre se traînait dans l’univers hideux ; L’homme était une tête et la femme était l’autre. Rome était la truie énorme qui se vautre. La créature humaine, importune au ciel bleu, Faisait une ombre affreuse à la cloison de Dieu ; Elle n’avait plus rien de sa forme première ; Son œil semblait vouloir foudroyer la lumière, Et l’on voyait, c’était la veille d’Attila, Tout ce qu’on avait eu de sacré jusque-là Palpiter sous son ongle ; et pendre à ses mâchoires D’un côté les vertus et de l’autre les gloires. Les hommes rugissaient quand ils croyaient parler. L’âme du genre humain songeait à s’en aller ; Mais, avant de quitter à jamais notre monde, tremblante, elle hésitait sous la voûte profonde,