Page:Hugo - Légende des siècles, Hachette, 1920, 1e série, volume 1.djvu/300

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Kanut quitta le mont par les glaces saisi ; Et, le front haut, tout blanc dans son linceul de neige, Il entra, par delà l’Islande et la Norvége, Seul dans le grand silence et dans la grande nuit ; Derrière lui le monde obscur s’évanouit ; Il se trouva, lui, spectre, âme, roi sans royaume, Nu, face à face avec l’immensité fantôme ; Il vit l’infini, porche horrible et reculant Où l’éclair, quand il entre, expire triste et lent, L’ombre, hydre dont les nuits sont les pâles vertèbres, L’informe se mouvant dans le noir ; les Ténèbres ; Là, pas d’astre ; et pourtant on ne sait quel regard Tombe de ce chaos immobile et hagard ; Pour tout bruit, le frisson lugubre que fait l’onde De l’obscurité, sourde, effarée et profonde ; Il avança disant : « C’est la tombe ; au delà C’est Dieu. » Quand il eut fait trois pas, il appela ; Mais la nuit est muette ainsi que l’ossuaire, Et rien ne répondit : pas un pli du suaire Ne s’émut, et Kanut avança ; la blancheur Du linceul rassurait le sépulcral marcheur ;