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Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 1.djvu/145

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LE JOUR DES ROIS.

Le fort que sur un pic Gesufal éleva
Est si haut, que du faîte on voit tout l’Alava,
Tout l’Èbre, les deux mers, et le merveilleux golfe
Où tombe Phaéton et d’où s’envole Astolphe.
Gesufal est ce roi, gai comme les démons,
Qui disait aux pays gisant au pied des monts,
Sol inquiet, tremblant comme une solfatare :
« Je suis ménétrier ; je mets à ma guitare
La corde des gibets dressés sur le chemin ;
Dansez, peuples ! j’ai deux royaumes dans ma main ;
Aragon et Léon sont mes deux castagnettes. »
C’est lui qui dit encor : « Je fais les places nettes. »
Et Teruel, hier une ville, aujourd’hui
Est de l’ombre. Ô désastre ! ô peuple sans appui !
Des tourbillons de nuit et d’étincelles passent,
Les façades au fond des fournaises s’effacent,
L’enfant cherche la femme et la femme l’enfant,
Un râle horrible sort du foyer étouffant ;
Les flammèches au vent semblent d’affreux moustiques ;
On voit dans le brasier le comptoir des boutiques
Où le marchand vendait la veille, et les tiroirs
Sont là béants, montrant de l’or dans leurs coins noirs.
Le feu poursuit la foule et sur les toits s’allonge ;
On crie, on tombe, on fuit, tant la vie est un songe !