Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/212

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Les nuages ayant l’aspect d’une forêt.
Un esprit qui viendrait planer là, ne pourrait
Dire, entre l’eau sans fond et l’espace sans borne,
Lequel est le plus sombre, et si cette horreur morne,
Faite de cécité, de stupeur et de bruit,
Vient de l’immense mer ou de l’immense nuit.

L’œil distingue, au milieu du gouffre où l’air sanglote,
Quelque chose d’informe et de hideux qui flotte,
Un grand cachalot mort à carcasse de fer,
On ne sait quel cadavre à vau-l’eau dans la mer ;
Œuf de titan dont l’homme aurait fait un navire.
Cela vogue, cela nage, cela chavire ;
Cela fut un vaisseau ; l’écume aux blancs amas
Cache et montre à grand bruit les tronçons de sept mâts ;
Le colosse, échoué sur le ventre, fuit, plonge,
S’engloutit, reparaît, se meut comme le songe ;
Chaos d’agrès rompus, de poutres, de haubans ;
Le grand mât vaincu semble un spectre aux bras tombants ;
L’onde passe à travers ce débris ; l’eau s’engage
Et déferle en hurlant le long du bastingage,
Et tourmente des bouts de corde à des crampons
Dans le ruissellement formidable des ponts ;
La houle éperdument furieuse saccage
Aux deux flancs du vaisseau les cintres d’une cage