Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/213

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Où jadis une roue effrayante a tourné ;
Personne ; le néant, froid, muet, étonné ;
D’affreux canons rouillés tendent leurs cous funestes ;
L’entre-pont a des trous où se dressent les restes
De cinq tubes pareils à des clairons géants,
Pleins jadis d’une foudre, et qui, tordus, béants,
Ployés, éteints, n’ont plus, sur l’eau qui les balance,
Qu’un noir vomissement de nuit et de silence ;
Le flux et le reflux, comme avec un rabot,
Dénude à chaque coup l’étrave et l’étambot,
Et dans la lame on voit se débattre l’échine
D’une mystérieuse et difforme machine.
Cette masse sous l’eau rôde, fantôme obscur.
Des putréfactions fermentent, à coup sûr,
Dans ce vaisseau perdu sous les vagues sans nombre ;
Dessus, des tourbillons d’oiseaux de mer ; dans l’ombre,
Dessous, des millions de poissons carnassiers.
Tout à l’entour, les flots, ces liquides aciers,
Mêlent leurs tournoiements monstrueux et livides.
Des espaces déserts sous des espaces vides.
Ô triste mer ! sépulcre où tout semble vivant !
Ces deux athlètes faits de furie et de vent,
Le tangage qui bave et le roulis qui fume,
Luttant sur ce radeau funèbre dans la brume,
Sans trêve, à chaque instant arrachent quelque éclat
De la quille ou du pont dans leur noir pugilat ;
Par moments, au zénith un nuage se troue,
Un peu de jour lugubre en tombe, et, sur la proue,