Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/25

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Tes juges sont des gueux ; bailliage ou cour plénière.
On trouve, et ce sera ma parole dernière,
Dans nos champs, où l’honneur antique est au rabais,
Pas assez de chemins, sire, et trop de gibets.
Ce luxe n’est pas bon. Nos pins et nos érables
Voyaient jadis, parmi leurs ombres vénérables,
Les bûcherons et non les bourreaux pénétrer ;
Nos grands chênes n’ont point l’habitude d’entrer
Dans l’exécution des lois et des sentences,
Et n’aiment pas donner tant de bois aux potences.

Nous avons le cœur gros, et nous sommes, ô roi,
Tout près de secouer la corde du beffroi ;
Ton altesse nous gêne et nous n’y tenons guère.
Roi, ce n’est pas pour voir nos compagnons de guerre
Accrochés à la fourche et devenus hideux,
Qui, morts, échevelés, quand nous passons près d’eux,
Semblent nous regarder et nous faire un reproche ;
Ce n’est pas pour subir ton burg sur notre roche,
Plein de danses, de chants et de festins joyeux ;
Ce n’est pas pour avoir ces pitiés sous les yeux
Que nous venons ici, courbant nos vieilles âmes,
Te saluer, menant à nos côtés nos femmes ;
Ce n’est pas pour cela que nous humilions
Dans elles les agneaux et dans nous les lions.