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Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/114

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Brume livide où l'œil par degrés s'habitue,
Flottait le rêve épars autour d'une statue.

Le colosse posait ses mains sur ses genoux.
Il avait ce regard effrayant des yeux doux
Qui peuvent foudroyer quand leur bonté se lasse.
Le vague bruit vivant qui sur la terre passe,
Chocs, rumeurs, chants d'oiseaux, cris humains, pas perdus,
Voix et vents, n'étaient point dans cette ombre entendus,
Et l'on eût dit que rien de ce que l'homme écoute,
Chante, invoque ou poursuit, n'osait sous cette voûte
Pénétrer, tant la tombe est un lieu qui se tait,
Et tant le chevalier de bronze méditait.
Trois degrés, que n'avait touchés nulle sandale,
Exhaussaient la statue au-dessus de la dalle ;
Don Jayme les monta. Pensif, il contempla
Quelque temps la figure auguste assise là,
Puis il s'agenouilla comme devant son juge ;
Puis il sentit, vaincu, comme dans un déluge
Une montagne sent l'ascension des flots,
Se rompre en son vieux cœur la digue des sanglots,
Il cria :

                       — Père ! ah Dieu ! tu n'es plus sur la terre,
Je ne t'ai plus ! Comment peut-on quitter son père !
Comme on est différent de son fils, ô douleur !