Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/163

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Mais l'être aimé ne peut s'éclipser. Je te vois, Je sens presque ta main, j'entends presque ta voix. Oui, loin de toi je vis comme on vit dans un songe ; Ce que je touche est larve, apparence, mensonge ; J'aperçois ton sourire à travers l'infini ; Et, sans savoir pourquoi, disant : Suis-je puni ? Je pleure vaguement si loin de moi tu souffres. La nature ignorée et sainte a de ces gouffres Où le visionnaire est voisin du réel ; Ainsi la lune est presque un spectre dans le ciel ; Ainsi tout dans les bois en fantôme s'achève ; Ainsi c'est presque au fond d'un abîme et d'un rêve Qu'un rossignol est triste et qu'un merle est rieur.

Quel mystère insondé que l'œil intérieur ! Quelle insomnie auguste en nous ! Quelle prunelle Ouverte sur le bien et le mal, éternelle ! À quelle profondeur voit cet œil inconnu ! Comme devant l'esprit toute l'ombre est à nu ! L'œil de chair bien souvent pour l'erreur se décide. La cécité pensive est quelquefois lucide ; Quoi donc ! est-ce qu'on a besoin des yeux pour voir L'héroïsme, l'honneur, la vertu, le devoir, La réalité sainte et même la chimère ? Qui donc passe en clarté le grand aveugle Homère ?