Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/388

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Le ventre abject, la faim, la soif, l’estomac vil,
T’accablent, noir passant, d’infirmités sans nombre,
Et, vieux, tu n’es qu’un spectre, et, mort, tu n’es qu’une ombre.
Tu t’en vas dans la cendre ! et moi je reste au jour ;
60J’ai toujours le printemps, l’aube, les fleurs, l’amour ;
Je suis plus jeune après des millions d’années.
J’emplis d’instincts rêveurs les bêtes étonnées.
Du gland je tire un chêne et le fruit du pepin.
Je me verse, urne sombre, au brin d’herbe, au sapin,
65Au cep d’où sort la grappe, aux blés qui font les gerbes.
Se tenant par la main, comme des sœurs superbes,
Sur ma face où s’épand l’ombre, où le rayon luit,
Les douze heures du jour, les douze heures de nuit
Dansent incessamment une ronde sacrée.
70Je suis source et chaos ; j’ensevelis, je crée.
Quand le matin naquit dans l’azur, j’étais là.
Vésuve est mon usine, et ma forge est l’Hékla ;
Je rougis de l’Etna les hautes cheminées.
En remuant Cuzco, j’émeus les Pyrénées.
75J’ai pour esclave un astre ; alors que vient le soir
Sur un de mes côtés jetant un voile noir,
J’ai ma lampe : la lune au front humain m’éclaire ;
Et si quelque assassin, dans un bois séculaire,
Vers l’ombre la plus sûre et le plus âpre lieu
80S’enfuit, je le poursuis de ce masque de feu.
Je peuple l’air, la flamme et l’onde ; et mon haleine
Fait, comme l’oiseau-mouche, éclore la baleine ;
Comme je fais le ver, j’enfante les typhons.