Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/86

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S'il veut un pont, il ploie un arbre sur le trou ;
La façon dont il va le long d'une corniche
Fait peur même à l'oiseau qui sur les rocs se niche.
A-t-il apprivoisé la rude hostilité
Du vent, du pic, du flot à jamais irrité,
Et des neiges soufflant en livides bouffées ?
Oui. Car la sombre pierre oscillante des fées
Le salue ; il vit calme et formidable, ayant
Avec la ronce et l'ombre et l'éclair flamboyant
Et la trombe et l'hiver de farouches concordes.
Armé d'un arc, vêtu de peaux, chaussé de cordes,
Au-dessus des lieux bas et pestilentiels,
Il court dans la nuée et dans les arc-en-ciels.

Il passe sa journée à l'affût, l'arbalète
Tendue à la cigogne, au gerfaut, à l'alète,
Suit l'isard, ou, pensif, s'accoude aux parapets
Des gouffres sur les lacs et les halliers épais,
Et songe dans les rocs que le lierre tapisse,
Tandis que cet enfer qu'on nomme précipice,
Faisant vociférer l'eau dans le gave amer,
Dans la forêt la terre et dans l'ouragan l'air,
Emploie à blasphémer trois langues différentes.
Avec leurs rameaux d'or et leurs fleurs amarantes,
La lande et la bruyère au reflet velouté
Lui brodent des tapis gigantesques l'été.