Page:Hugo - Les Châtiments (Hetzel, 1880).djvu/345

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Et maint vivant, gavé, triomphant et vermeil,
Reprend : — Ce bruit qu’on fait dérange mon sommeil.
Tout va bien. Les marchands triplent leurs clientèles,
Et nos femmes ne sont que fleurs et que dentelles !
— De quoi donc se plaint-on ? crie un autre quidam ;
En flânant sur l’asphalte et sur le macadam,
Je gagne tous les jours trois cents francs à la Bourse.
L’argent coule aujourd’hui comme l’eau d’une source ;
Les ouvriers maçons ont trois livres dix sous,
C’est superbe ; Paris est sens dessus dessous.
Il paraît qu’on a mis dehors les démagogues.
Tant mieux. Moi, j’applaudis les bals et les églogues
Du prince qu’autrefois à tort je reniais.
Que m’importe qu’on ait chassé quelques niais ?
Quant aux morts, ils sont morts, paix à ces imbéciles !
Vivent les gens d’esprit ! vivent ces temps faciles
Où l’on peut à son choix prendre pour nourricier
Le crédit mobilier ou le crédit foncier !
La république rouge aboie en ses cavernes,
C’est affreux ! Liberté, droit, progrès, balivernes !
Hier encor j’empochais une prime d’un franc ;
Et moi, je sens fort peu, j’en conviens, je suis franc,
Les déclamations m’étant indifférentes,
La baisse de l’honneur dans la hausse des rentes. —

Ô langage hideux ! on le tient, on l’entend !
Eh bien, sachez-le donc, repus au cœur content,
Que nous vous le disions bien une fois pour toutes,
Oui, nous, les vagabonds dispersés sur les routes,