Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/217

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La solitude vénérable
Même aujourd’hui l’homme sacré
Plus avant dans l’impénétrable,
Plus loin dans le démesuré.

Oui, si dans l’homme, que le nombre
Et le temps trompent tour à tour,
La foule dégorge de l’ombre,
La solitude fait le jour.

Le désert au ciel nous convie.
Ô seuil de l’azur ! l’homme seul,
Vivant qui voit hors de la vie,
Lève d’avance son linceul.

Il parle aux voix que Dieu fit taire,
Mêlant sur son front pastoral
Aux lueurs troubles de la terre
Le serein rayon sépulcral.

Dans le désert, l’esprit qui pense
Subit par degrés sous les cieux
La dilatation immense
De l’infini mystérieux.

Il plonge au fond. Calme, il savoure
Le réel, le vrai, l’élément.
Toute la grandeur qui l’entoure
Le pénètre confusément.

Sans qu’il s’en doute, il va, se dompte,
Marche, et, grandissant en raison,
Croît comme l’herbe aux champs, et monte
Comme l’aurore à l’horizon.