Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/221

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Poussière admirant la poussière,
Nous poursuivons obstinément,
Grains de cendre, un grain de lumière
En fuite dans le firmament !

Pendant que notre âme humble et lasse
S’arrête au seuil du ciel béni,
Et va becqueter dans l’espace
Une miette de l’infini,

Lui, ce berger, ce passant frêle,
Ce pauvre gardeur de bétail
Que la cathédrale éternelle
Abrite sous son noir portail,

Cet homme qui ne sait pas lire,
Cet hôte des arbres mouvants,
Qui ne connaît pas d’autre lyre
Que les grands bois et les grands vents,

Lui, dont l’âme semble étouffée,
Il s’envole, et, touchant le but,
Boit avec la coupe d’Orphée
À la source où Moïse but !

Lui, ce pâtre, en sa thébaïde,
Cet ignorant, cet indigent,
Sans docteur, sans maître, sans guide,
Fouillant, scrutant, interrogeant,

De sa roche où la paix séjourne,
Les cieux noirs, les bleus horizons,
Double ornière où sans cesse tourne
La roue énorme des saisons ;