Page:Hugo - Les Contemplations, Nelson, 1856.djvu/298

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Du pauvre mât penché parmi les lames brunes !
Soyez les bienvenus pour l’âpre fleur des dunes,
Et pour l’aigle qui fuit les hommes importuns,
Âmes, et que les champs vous rendent vos parfums,
Et que, votre clarté, les astres vous la rendent !
Et qu’en vous admirant, les vastes flots demandent :
Qu’est-ce donc que ces cœurs qui n’ont pas de reflux !

Ô tendres survivants de tout ce qui n’est plus !
Rayonnements masquant la grande éclipse à l’âme !
Sourires éclairant, comme une douce flamme,
L’abîme qui se fait, hélas ! dans le songeur !
Gaîtés saintes chassant le souvenir rongeur !
Quand le proscrit saignant se tourne, âme meurtrie,
Vers l’horizon, et crie en pleurant : La patrie !
La famille, mensonge auguste, dit : C’est moi !

Oh ! suivre hors du jour, suivre hors de la loi,
Hors du monde, au delà de la dernière porte,
L’être mystérieux qu’un vent fatal emporte,
C’est beau. C’est beau de suivre un exilé ! Le jour
Où ce banni sortit de France, plein d’amour
Et d’angoisse, au moment de quitter cette mère,
Il s’arrêta longtemps sur la limite amère ;
Il voyait, de sa course à venir déjà las,
Que dans l’œil des passants il n’était plus, hélas !
Qu’une ombre, et qu’il allait entrer au sourd royaume
Où l’homme qui s’en va flotte et devient fantôme ;
Il disait aux ruisseaux : Retiendrez-vous mon nom,
Ruisseaux ? Et les ruisseaux coulaient en disant : Non.
Il disait aux oiseaux de France : Je vous quitte,
Doux oiseaux ; je m’en vais aux lieux où l’on meurt vite,
Au noir pays d’exil où le ciel est étroit ;
Vous viendrez, n’est-ce pas, vous nicher dans mon toit ?