Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/324

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est entouré de cloisons fragiles qui donnent toutes sur le vice ou sur le crime.

La santé, la jeunesse, l’honneur, les saintes et farouches délicatesses de la chair encore neuve, le cœur, la virginité, la pudeur, cet épiderme de l’âme, sont sinistrement maniés par ce tâtonnement qui cherche des ressources, qui rencontre l’opprobre, et qui s’en accommode. Pères, mères, enfants, frères, sœurs, hommes, femmes, filles, adhèrent, et s’agrègent presque comme une formation minérale, dans cette brumeuse promiscuité de sexes, de parentés, d’âges, d’infamies, d’innocences. Ils s’accroupissent, adossés les uns aux autres, dans une espèce de destin taudis. Ils s’entre-regardent lamentablement. Ô les infortunés ! comme ils sont pâles ! comme ils ont froid ! Il semble qu’ils soient dans une planète bien plus loin du soleil que nous.

Cette jeune fille fut pour Marius une sorte d’envoyée des ténèbres.

Elle lui révéla tout un côté hideux de la nuit.

Marius se reprocha presque les préoccupations de rêverie et de passion qui l’avaient empêché jusqu’à ce jour de jeter un coup d’œil sur ses voisins. Avoir payé leur loyer, c’était un mouvement machinal, tout le monde eût eu ce mouvement ; mais lui Marius eût dû faire mieux. Quoi ! un mur seulement le séparait de ces êtres abandonnés, qui vivaient à tâtons dans la nuit, en dehors du reste des vivants, il les coudoyait, il était en quelque sorte, lui, le dernier chaînon du genre humain qu’ils touchassent, il les entendait vivre ou plutôt râler à côté de lui, et il n’y prenait point garde ! tous les jours à chaque instant, à travers la muraille, il les