Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/325

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entendait marcher, aller, venir, parler, et il ne prêtait pas l’oreille ! et dans ces paroles il y avait des gémissements, et il ne les écoutait même pas ! sa pensée était ailleurs, à des songes, à des rayonnements impossibles, à des amours en l’air, à des folies ; et cependant des créatures humaines, ses frères en Jésus-Christ, ses frères dans le peuple, agonisaient à côté de lui ! agonisaient inutilement ! Il faisait même partie de leur malheur, et il l’aggravait. Car s’ils avaient eu un autre voisin, un voisin moins chimérique et plus attentif, un homme ordinaire et charitable, évidemment leur indigence eût été remarquée, leurs signaux de détresse eussent été aperçus, et depuis longtemps déjà peut-être ils eussent été recueillis et sauvés ! Sans doute ils paraissaient bien dépravés, bien corrompus, bien avilis, bien odieux même ; mais ils sont rares, ceux qui sont tombés sans être dégradés ; d’ailleurs il y a un point où les infortunés et les infâmes se mêlent et se confondent dans un seul mot, mot fatal, les misérables ; de qui est-ce la faute ? Et puis, est-ce que ce n’est pas quand la chute est plus profonde que la charité doit être plus grande ?

Tout en se faisant cette morale, car il y avait des occasions où Marius, comme tous les cœurs vraiment honnêtes, était à lui-même son propre pédagogue et se grondait plus qu’il ne le méritait, il considérait le mur qui le séparait des Jondrette, comme s’il eût pu faire passer à travers cette cloison son regard plein de pitié et en aller réchauffer ces malheureux. Le mur était une mince lame de plâtre soutenue par des lattes et des solives, et qui, comme on vient de le lire, laissait parfaitement distinguer le bruit des paroles