Page:Hugo - Les Misérables Tome II (1890).djvu/167

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marchaient dans l’herbe, et elle vit distinctement les revenants qui remuaient dans les arbres. Alors elle ressaisit le seau, la peur lui donnait de l’audace : — Bah ! dit-elle, je lui dirai qu’il n’y avait plus d’eau — Et elle rentra résolument dans Montfermeil.

À peine eut-elle fait cent pas qu’elle s’arrêta encore, et se remit à se gratter la tête. Maintenant, c’était la Thénardier qui lui apparaissait ; la Thénardier hideuse avec sa bouche d’hyène et la colère flamboyante dans les yeux. L’enfant jeta un regard lamentable en avant et en arrière. Que faire ? que devenir ? où aller ? Devant elle le spectre de la Thénardier ; derrière elle tous les fantômes de la nuit et des bois. Ce fut devant la Thénardier qu’elle recula. Elle reprit le chemin de la source et se mit à courir. Elle sortit du village en courant, elle entra dans le bois en courant, ne regardant plus rien, n’écoutant plus rien. Elle n’arrêta sa course que lorsque la respiration lui manqua, mais elle n’interrompit point sa marche. Elle allait devant elle, éperdue.

Tout en courant elle avait envie de pleurer.

Le frémissement nocturne de la forêt l’enveloppait tout entière. Elle ne pensait plus, elle ne voyait plus. L’immense nuit faisait face à ce petit être. D’un côté, toute l’ombre ; de l’autre, un atome.

Il n’y avait que sept ou huit minutes de la lisière du bois à la source. Cosette connaissait le chemin pour l’avoir fait plusieurs fois le jour. Chose étrange, elle ne se perdit pas. Un reste d’instinct la conduisait vaguement. Elle ne jetait cependant les yeux ni à droite ni à gauche, de crainte de