Page:Hugo - Les Misérables Tome IV (1890).djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
362
LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

bonhomme une insupportable et irritante anxiété de se sentir si tendre et si éploré au dedans et de ne pouvoir être que dur au dehors. L’amertume lui revint. Il interrompit Marius avec un accent bourru :

— Alors pourquoi venez-vous ?

Cet « alors » signifiait : si vous ne venez pas m’embrasser. Marius regarda son aïeul à qui la pâleur faisait un visage de marbre.

— Monsieur…

Le vieillard reprit d’une voix sévère :

— Venez-vous me demander pardon ? avez-vous reconnu vos torts ?

Il croyait mettre Marius sur la voie et que « l’enfant » allait fléchir. Marius frissonna ; c’était le désaveu de son père qu’on lui demandait ; il baissa les yeux et répondit :

— Non, monsieur.

— Et alors, s’écria impétueusement le vieillard avec une douleur poignante et pleine de colère, qu’est-ce que vous me voulez ?

Marius joignit les mains, fit un pas et dit d’une voix faible et qui tremblait :

— Monsieur, ayez pitié de moi.

Ce mot remua M. Gillenormand ; dit plus tôt, il l’eût attendri, mais il venait trop tard. L’aïeul se leva ; il s’appuyait sur sa canne de ses deux mains, ses lèvres étaient blanches, son front vacillait, mais sa haute taille dominait Marius incliné.

— Pitié de vous, monsieur ! C’est l’adolescent qui demande de la pitié au vieillard de quatre-vingt-onze ans ! Vous