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En l’année 1817.

vellement arrivée d’Inde, dont le nom nous échappe en ce moment, et qui à cette époque attirait tout Paris à Saint-Cloud ; c’était un bizarre et charmant arbrisseau haut sur tige, dont les innombrables branches fines comme des fils ébouriffées, sans feuilles, étaient couvertes d’un million de petites rosettes blanches ; ce qui faisait que l’arbuste avait l’air d’une chevelure pouilleuse de fleurs. Il y avait toujours foule à l’admirer.

L’arbuste vu, Tholomyès s’était écrié : J’offre des ânes ! et, prix fait avec un ânier, ils étaient revenus par Vanvres et Issy. À Issy, incident. Le parc, Bien National possédé à cette époque par le munitionnaire Bourguin, était d’aventure tout grand ouvert. Ils avaient franchi la grille, visité l’anachorète mannequin dans sa grotte, essayé les petits effets mystérieux du fameux cabinet des miroirs, lascif traquenard digne d’un satyre devenu millionnaire ou de Turcaret métamorphosé en Priape. Ils avaient robustement secoué le grand filet balançoire attaché aux deux châtaigniers célébrés par l’abbé de Bernis. Tout en y balançant ces belles l’une après l’autre, ce qui faisait, parmi les rires universels, des plis de jupe envolée où Greuze eût trouvé son compte, le toulousain Tholomyès, quelque peu espagnol, Toulouse est cousine de Tolosa, chantait, sur une mélopée mélancolique, la vieille chanson gallega probablement inspirée par quelque belle fille lancée à toute volée sur une corde entre deux arbres :

Soy de Badajoz.
Amor me llama
Toda mi alma,