Page:Hugo - Les Misérables Tome I (1890).djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
LES MISÉRABLES. — FANTINE.

l’équarrisseur, qui traînait une charrette fort lourde. Parvenue devant Bombarda, la bête, épuisée et accablée, avait refusé d’aller plus loin. Cet incident avait fait de la foule. À peine le charretier, jurant et indigné, avait-il eu le temps de prononcer avec l’énergie convenable le mot sacramentel : mâtin ! appuyé d’un implacable coup de fouet, que la haridelle était tombée pour ne plus se relever. Au brouhaha des passants, les gais auditeurs de Tholomyès tournèrent la tête, et Tholomyès en profita pour clore son allocution par cette strophe mélancolique :


Elle était de ce monde où coucous et carrosses
Ont le même destin,
Et, rosse, elle a vécu ce que vivent les rosses,
L’espace d’un : mâtin !

— Pauvre cheval, soupira Fantine.

Et Dahlia s’écria :

— Voilà Fantine qui va se mettre à plaindre les chevaux ! Peut-on être fichue bête comme ça !

En ce moment Favourite, croisant les bras et renversant sa tête en arrière, regarda résolument Tholomyès et dit :

— Ah çà ! et la surprise ?

— Justement. L’instant est arrivé, répondit Tholomyès. Messieurs, l’heure de surprendre ces dames a sonné. Mesdames, attendez-nous un moment.

— Cela commence par un baiser, dit Blachevelle.

— Sur le front, ajouta Tholomyès.

Chacun déposa gravement un baiser sur le front de sa