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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

de fois cette conscience, forcenée au bien, l’avait-elle étreint et accablé ! Combien de fois la vérité, inexorable, lui avait-elle mis le genou sur la poitrine ! Combien de fois, terrassé par la lumière, lui avait-il crié grâce ! Combien de fois cette lumière implacable, allumée en lui et sur lui par l’évêque, l’avait-elle ébloui de force alors qu’il souhaitait être aveuglé ! Combien de fois s’était-il redressé dans le combat, retenu au rocher, adossé au sophisme, traîné dans la poussière, tantôt renversant sa conscience sous lui, tantôt renversé par elle ! Combien de fois, après une équivoque, après un raisonnement traître et spécieux de l’égoïsme, avait-il entendu sa conscience irritée lui crier à l’oreille : Croc-en-jambe ! misérable ! Combien de fois sa pensée réfractaire avait-elle râlé convulsivement sous l’évidence du devoir ! Résistance à Dieu. Sueurs funèbres. Que de blessures secrètes, que lui seul sentait saigner ! Que d’écorchures à sa lamentable existence ! Combien de fois s’était-il relevé sanglant, meurtri, brisé, éclairé, le désespoir au cœur, la sérénité dans l’âme ? et, vaincu, il se sentait vainqueur. Et, après l’avoir disloqué, tenaillé et rompu, sa conscience, debout au-dessus de lui, redoutable, lumineuse, tranquille, lui disait : Maintenant, va en paix !

Mais, au sortir d’une si sombre lutte, quelle paix lugubre, hélas !

Cette nuit-là pourtant, Jean Valjean sentit qu’il livrait son dernier combat.

Une question se présentait, poignante.

Les prédestinations ne sont pas toutes droites, elles ne se développent pas en avenue rectiligne devant le prédes-