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LA NUIT BLANCHE.

tiné ; elles ont des impasses, des cæcums, des tournants obscurs, des carrefours inquiétants offrant plusieurs voies. Jean Valjean faisait halte en ce moment au plus périlleux de ces carrefours.

Il était parvenu au suprême croisement du bien et du mal. Il avait cette ténébreuse intersection sous les yeux. Cette fois encore, comme cela lui était déjà arrivé dans d’autres péripéties douloureuses, deux routes s’ouvraient devant lui ; l’une tentante, l’autre effrayante. Laquelle prendre ?

Celle qui effrayait était conseillée par le mystérieux doigt indicateur que nous apercevons tous chaque fois que nous fixons nos yeux sur l’ombre.

Jean Valjean avait, encore une fois, le choix entre le port terrible et l’embûche souriante.

Cela est-il donc vrai ? l’âme peut guérir ; le sort, non. Chose affreuse ! une destinée incurable !

La question qui se présentait, la voici :

De quelle façon Jean Valjean allait-il se comporter avec le bonheur de Cosette et de Marius ? Ce bonheur, c’était lui qui l’avait voulu, c’était lui qui l’avait fait ; il se l’était lui-même enfoncé dans les entrailles, et à cette heure, en le considérant, il pouvait avoir l’espèce de satisfaction qu’aurait un armurier qui reconnaîtrait sa marque de fabrique sur un couteau, en se le retirant tout fumant de la poitrine.

Cosette avait Marius, Marius possédait Cosette. Ils avaient tout, même la richesse. Et c’était son œuvre.

Mais ce bonheur, maintenant qu’il existait, maintenant qu’il était là, qu’allait-il en faire, lui Jean Valjean ? S’impo-