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LA DERNIÈRE GORGÉE DU CALICE.

toute prête, vous n’avez qu’à arriver. Cosette a mis près de votre lit une grande vieille bergère en velours d’Utrecht, à qui elle a dit : tends-lui les bras. Tous les printemps, dans le massif d’acacias qui est en face de vos fenêtres, il vient un rossignol. Vous l’aurez dans deux mois. Vous aurez son nid à votre gauche et le nôtre à votre droite. La nuit il chantera, et le jour Cosette parlera. Votre chambre est en plein midi. Cosette vous y rangera vos livres, votre voyage du capitaine Cook, et l’autre, celui de Vancouver, toutes vos affaires. Il y a, je crois, une petite valise à laquelle vous tenez, j’ai disposé un coin d’honneur pour elle. Vous avez conquis mon grand-père, vous lui allez. Nous vivrons ensemble. Savez-vous le whist ? vous comblerez mon grand-père, si vous savez le whist. C’est vous qui mènerez promener Cosette mes jours de palais, vous lui donnerez le bras, vous savez, comme au Luxembourg, autrefois. Nous sommes absolument décidés à être très heureux. Et vous en serez, de notre bonheur, père ? Ah çà, vous déjeunez avec nous aujourd’hui ?

— Monsieur, dit Jean Valjean, j’ai une chose à vous dire. Je suis un ancien forçat.

La limite des sons aigus perceptibles peut être tout aussi bien dépassée pour l’esprit que pour l’oreille. Ces mots : Je suis un ancien forçat, sortant de la bouche de M. Fauchelevent et entrant dans l’oreille de Marius, allaient au delà du possible. Marius n’entendit pas. Il lui sembla que quelque chose venait de lui être dit ; mais il ne sut quoi. Il resta béant.

Il s’aperçut alors que l’homme qui lui parlait était