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LA LUTTE

Pendant quelques instants, le paquet de mer aveugla tout. Il n’y eut plus rien de visible qu’un entassement furieux, une bave démesurée, la blancheur du linceul tournoyant au vent du sépulcre, un amas de bruit et d’orage sous lequel l’extermination travaillait.

L’écume se dissipa. Gilliatt était debout.

Le barrage avait tenu bon. Pas une chaîne rompue, pas un clou déplanté. Le barrage avait montré sous l’épreuve les deux qualités du brise-lames ; il avait été souple comme une claie et solide comme un mur. La houle s’y était dissoute en pluie.

Un ruissellement d’écume, glissant le long des zigzags du détroit, alla mourir sous la panse.

L’homme qui avait fait cette muselière à l’océan ne se reposa pas.

L’orage heureusement divagua pendant quelque temps. L’acharnement des vagues revint aux parties murées de l’écueil. Ce fut un répit. Gilliatt en profita pour compléter la claire-voie d’arrière.

La journée s’acheva dans ce labeur. La tourmente continuait ses violences sur le flanc de l’écueil avec une solennité lugubre. L’urne d’eau et l’urne de feu qui sont dans les nuées se versaient sans se vider. Les ondulations hautes et basses du vent ressemblaient aux mouvements d’un dragon.

Quand la nuit vint, elle y était déjà ; on ne s’en aperçut pas.

Du reste, ce n’était point l’obscurité complète. Les tempêtes, illuminées et aveuglées par l’éclair, ont des intermittences de visible et d’invisible. Tout est blanc, puis tout est