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LA LUTTE

Elle était le projectile et la mer était la catapulte.

Les coups se succédaient avec une sorte de régularité tragique. Gilliatt, pensif derrière cette porte barricadée par lui, écoutait ces frappements de la mort voulant entrer.

Il réfléchissait amèrement que, sans cette cheminée de la Durande si fatalement retenue par l’épave, il serait en cet instant-là même, et depuis le matin, rentré à Guernesey, et au port, avec la panse en sûreté et la machine sauvée.

La chose redoutée se réalisa. L’effraction eut lieu. Ce fut comme un râle. Toute la charpente du brise-lames à la fois, les deux armatures confondues et broyées ensemble, vint, dans une trombe de houle, se ruer sur le barrage de pierre comme un chaos sur une montagne, et s’y arrêta. Cela ne fut plus qu’un enchevêtrement, informe broussaille de poutres, pénétrable aux flots mais les pulvérisant encore. Ce rempart vaincu agonisait héroïquement. La mer l’avait fracassé, et il brisait la mer. Renversé, il demeurait, dans une certaine mesure, efficace. La roche formant barrage, obstacle sans recul possible, le retenait par le pied. Le défilé était, nous l’avons dit, très étroit sur ce point ; la rafale victorieuse avait refoulé, mêlé et pilé tout le brise-lames en bloc dans cet étranglement ; la violence même de la poussée, en tassant la masse et en enfonçant les fractures les unes dans les autres, avait fait de cette démolition un écrasement solide. C’était détruit et inébranlable. Quelques pièces de bois seulement s’arrachèrent. Le flot les dispersa. Une passa en l’air très près de Gilliatt. Il en sentit le vent sur son front.

Mais quelques lames, ces grosses lames qui dans les tourmentes reviennent avec une périodicité imperturbable,