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Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/194

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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

solides. Il se risquait et se préservait. Lui aussi était à son paroxysme. Sa vigueur avait décuplé. Il était éperdu d’intrépidité. Ses coups de cognée sonnaient comme des défis. Il paraissait avoir gagné en lucidité ce que la tempête avait perdu. Conflit pathétique. D’un côté l’intarissable, de l’autre l’infatigable. C’était à qui ferait lâcher prise à l’autre. Les nuées terribles modelaient dans l’immensité des masques de gorgones, tout le dégagement d’intimidation possible se produisait, la pluie venait des vagues, l’écume venait des nuages, les fantômes du vent se courbaient, des faces de météores s’empourpraient et s’éclipsaient, et l’obscurité était monstrueuse après ces évanouissements ; il n’y avait plus qu’un versement, arrivant de tous les côtés à la fois ; tout était ébullition ; l’ombre en masse débordait ; les cumulus chargés de grêle, déchiquetés, couleur cendre, paraissaient pris d’une espèce de frénésie giratoire, il y avait en l’air un bruit de pois secs secoués dans un crible, les électricités inverses observées par Volta faisaient de nuage à nuage leur jeu fulminant, les prolongements de la foudre étaient épouvantables, les éclairs s’approchaient tout près de Gilliatt. Il semblait étonner l’abîme. Il allait et venait sur la Durande branlante, faisant trembler le pont sous son pas, frappant, taillant, coupant, tranchant, la hache au poing, blême aux éclairs, échevelé, pieds nus, en haillons, la face couverte des crachats de la mer, grand dans ce cloaque de tonnerres.

Contre le délire des forces, l’adresse seule peut lutter. L’adresse était le triomphe de Gilliatt. Il voulait une chute ensemble de tout le débris disloqué. Pour cela il affaiblis-