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LA LUTTE

sait les fractures charnières sans les rompre tout à fait, laissant quelques fibres qui soutenaient le reste. Subitement il s’arrêta, tenant la cognée haute. L’opération était à point. Le morceau entier se détacha.

Cette moitié de la carcasse de l’épave coula entre les deux Douvres, au-dessous de Gilliatt debout sur l’autre moitié, penché et regardant. Elle plongea perpendiculairement dans l’eau, éclaboussa les rochers, et s’arrêta dans l’étranglement avant de toucher le fond. Il en resta assez hors de l’eau pour dominer le flot de plus de douze pieds ; le tablier vertical faisait muraille entre les deux Douvres ; comme la roche jetée en travers un peu plus haut dans le détroit, il laissait à peine filtrer un glissement d’écume à ses deux extrémités ; et ce fut la cinquième barricade improvisée par Gilliatt contre la tempête dans cette rue de la mer.

L’ouragan, aveugle, avait travaillé à cette barricade dernière.

Il était heureux que le resserrement des parois eût empêché ce barrage d’aller jusqu’au fond. Cela lui laissait plus de hauteur ; en outre l’eau pouvait passer sous l’obstacle, ce qui soutirait de la force aux lames. Ce qui passe par-dessous ne saute point par-dessus. C’est là, en partie, le secret du brise-lames flottant.

Désormais, quoi que fît la nuée, rien n’était à craindre pour la panse et la machine. L’eau ne pouvait plus bouger autour d’elles. Entre la clôture des Douvres qui les couvrait à l’ouest et le nouveau barrage qui les protégeait à l’est, aucun coup de mer ni de vent ne pouvait les atteindre.