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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

les fibres et les nerfs du navire étaient à nu, et pendaient. Ce qui n’était pas fracassé était désarticulé ; des fragments du mailletage du doublage étaient pareils à des étrilles hérissées de clous ; tout avait la forme de la ruine ; une barre d’anspect n’était plus qu’un morceau de fer, une sonde n’était plus qu’un morceau de plomb, un cap-de-mouton n’était plus qu’un morceau de bois ; une drisse n’était plus qu’un bout de chanvre, un touron n’était plus qu’un écheveau brouillé, une ralingue n’était plus qu’un fil dans un ourlet ; partout l’inutilité lamentable de la démolition ; rien qui ne fût décroché, décloué, lézardé, rongé, déjeté, sabordé, anéanti ; aucune adhésion dans ce monceau hideux, partout la déchirure, la dislocation, et la rupture, et ce je ne sais quoi d’inconsistant et de liquide qui caractérise tous les pêle-mêle, depuis les mêlées d’hommes qu’on nomme batailles jusqu’aux mêlées d’éléments qu’on nomme chaos. Tout croulait, tout coulait, et un ruissellement de planches, de panneaux, de ferrailles, de câbles et de poutres s’était arrêté au bord de la grande fracture de la quille, d’où le moindre choc pouvait tout précipiter dans la mer. Ce qui restait de cette puissante carène si triomphante autrefois, tout cet arrière suspendu entre les deux Douvres et peut-être prêt à tomber, était crevassé çà et là et laissait voir par de larges trous l’intérieur sombre du navire.

L’écume crachait d’en bas sur cette chose misérable.