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LES DOUBLES FONDS DE L’OBSTACLE

En arrivant dans l’écueil Douvres, il s’était vu entouré et comme saisi par la solitude. Cette solitude faisait plus que l’environner, elle l’enveloppait. Mille menaces à la fois lui avaient montré le poing. Le vent était là, prêt à souffler ; la mer était là, prête à rugir. Impossible de bâillonner cette bouche, le vent ; impossible d’édenter cette gueule, la mer. Et pourtant il avait lutté ; homme, il avait combattu corps à corps l’océan ; il s’était colleté avec la tempête.

Il avait tenu tête à d’autres anxiétés et à d’autres nécessités encore. Il avait eu affaire à toutes les détresses. Il lui avait fallu sans outils faire des travaux, sans aide remuer des fardeaux, sans science résoudre des problèmes, sans provisions boire et manger, sans lit et sans toit dormir.

Sur cet écueil, chevalet tragique, il avait été tour à tour mis à la question par les diverses fatalités tortionnaires de la nature, mère quand bon lui semble, bourreau quand il lui plaît.

Il avait vaincu l’isolement, vaincu la faim, vaincu la soif, vaincu le froid, vaincu la fièvre, vaincu le travail, vaincu le sommeil. Il avait rencontré pour lui barrer le passage les obstacles coalisés. Après le dénûment, l’élément ; après la marée, la tourmente ; après la tempête, la pieuvre ; après le monstre, le spectre.

Lugubre ironie finale. Dans cet écueil d’où Gilliatt avait compté sortir triomphant, Clubin mort venait de le regarder en riant.

Le ricanement du spectre avait raison. Gilliatt se voyait perdu. Gilliatt se voyait aussi mort que Clubin.

L’hiver, la famine, la fatigue, l’épave à dépecer, la ma-