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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

chine à transborder, les coups d’équinoxe, le vent, le tonnerre, la pieuvre, tout cela n’était rien près de la voie d’eau. On pouvait avoir, et Gilliatt avait eu, contre le froid le feu, contre la faim les coquillages du rocher, contre la soif la pluie, contre les difficultés du sauvetage l’industrie et l’énergie, contre la marée et l’orage le brise-lames, contre la pieuvre le couteau. Contre la voie d’eau, rien.

L’ouragan lui laissait cet adieu sinistre. Dernière reprise, estocade traître, attaque sournoise du vaincu au vainqueur. La tempête en fuite lançait cette flèche derrière elle. La déroute se retournait et frappait. C’était le coup de Jarnac de l’abîme.

On combat la tempête ; mais comment combattre un suintement ?

Si le tampon cédait, si la voie d’eau se rouvrait, rien ne pouvait faire que la panse ne sombrât point. C’était la ligature de l’artère qui se dénoue. Et une fois la panse au fond de l’eau, avec cette surcharge, la machine, nul moyen de l’en tirer. Ce magnanime effort de deux mois titaniques aboutissait à un anéantissement. Recommencer était impossible. Gilliatt n’avait plus ni forge, ni matériaux. Peut-être, au point du jour, allait-il voir toute son œuvre s’enfoncer lentement et irrémédiablement dans le gouffre.

Chose effrayante, sentir sous soi la force sombre.

Le gouffre le tirait à lui.

Sa barque engloutie, il n’aurait plus qu’à mourir de faim et de froid, comme l’autre, le naufragé du rocher l’Homme.

Pendant deux longs mois, les consciences et les providences qui sont dans l’invisible avaient assisté à ceci : d’un