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LES DOUBLES FONDS DE L’OBSTACLE

côté les étendues, les vagues, les vents, les éclairs, les météores, de l’autre un homme ; d’un côté la mer, de l’autre une âme ; d’un côté l’infini, de l’autre un atome.

Et il y avait eu bataille.

Et voilà que peut-être ce prodige avortait.

Ainsi aboutissait à l’impuissance cet héroïsme inouï ; ainsi s’achevait par le désespoir ce formidable combat accepté, cette lutte de rien contre tout, cette Iliade à un.

Gilliatt éperdu regardait l’espace.

Il n’avait même plus un vêtement. Il était nu devant l’immensité.

Alors, dans l’accablement de toute cette énormité inconnue, ne sachant plus ce qu’on lui voulait, se confrontant avec l’ombre, en présence de cette obscurité irréductible, dans la rumeur des eaux, des lames, des flots, des houles, des écumes, des rafales, sous les nuées, sous les souffles, sous la vaste force éparse, sous ce mystérieux firmament des ailes, des astres et des tombes, sous l’intention possible mêlée à ces choses démesurées, ayant autour de lui et au-dessous de lui l’océan, et au-dessus de lui les constellations, sous l’insondable, il s’affaissa, il renonça, il se coucha tout de son long le dos sur la roche, la face aux étoiles, vaincu, et, joignant les mains devant la profondeur terrible, il cria dans l’infini : Grâce !

Terrassé par l’immensité, il la pria.

Il était là, seul dans cette nuit sur ce rocher au milieu de cette mer, tombé d’épuisement, ressemblant à un foudroyé, nu comme le gladiateur dans le cirque, seulement au lieu de cirque ayant l’abîme, au lieu de bêtes féroces les