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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Disons en outre que Saint-Sampson, à part quelques riches familles bourgeoises, est une population de carriers et de charpentiers. Le port est un port de radoub. Tout le jour on extrait des pierres ou l’on façonne des madriers ; ici le pic, là le marteau. Maniement perpétuel du bois de chêne et du granit. Le soir on tombe de fatigue et l’on dort comme des plombs. Les rudes travaux font les durs sommeils.

Un soir du commencement de mai, après avoir, pendant quelques instants, regardé le croissant de la lune dans les arbres et écouté le pas de Déruchette se promenant seule, au frais de la nuit, dans le jardin des Bravées, mess Lethierry était rentré dans sa chambre située sur le port et s’était couché. Douce et Grâce étaient au lit. Excepté Déruchette, tout dormait dans la maison. Tout dormait aussi dans Saint-Sampson. Portes et volets étaient partout fermés. Aucune allée et venue dans les rues. Quelques rares lumières, pareilles à des clignements d’yeux qui vont s’éteindre, rougissaient çà et là des lucarnes sur les toits, annonce du coucher des domestiques. Il y avait un certain temps déjà que neuf heures avaient sonné au vieux clocher roman couvert de lierre qui partage avec l’église de Saint-Brelade de Jersey la bizarrerie d’avoir pour date quatre uns : 1111 ; ce qui signifie onze cent onze.

La popularité de mess Lethierry à Saint-Sampson tenait à son succès. Le succès ôté, le vide s’était fait. Il faut croire que le guignon se gagne et que les gens point heureux ont la peste, tant est rapide leur mise en quarantaine. Les jolis fils de famille évitaient Déruchette. L’isolement autour des