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NUIT ET LUNE

eût pu jamais entretenir quelque espoir de remboursement de ce côté-là, fit évanouir sa dernière chance.

Elle ajouta à la catastrophe de la Durande ce nouveau naufrage de soixante-quinze mille francs. Elle le remit en possession de cet argent juste assez pour lui en faire sentir la perte. Cette lettre lui montra le fond de sa ruine.

De là une souffrance nouvelle, et très aiguë, que nous avons indiquée tout à l’heure. Il commença, chose qu’il n’avait point faite depuis deux mois, à se préoccuper de sa maison, de ce qu’elle allait devenir, de ce qu’il faudrait réformer. Petit ennui à mille pointes, presque pire que le désespoir. Subir son malheur par le menu, disputer pied à pied au fait accompli le terrain qu’il vient vous prendre, c’est odieux. Le bloc du malheur s’accepte, non sa poussière. L’ensemble accablait, le détail torture. Tout à l’heure la catastrophe vous foudroyait, maintenant elle vous chicane.

C’est l’humiliation aggravant l’écrasement. C’est une deuxième annulation s’ajoutant à la première, et laide. On descend d’un degré dans le néant. Après le linceul, c’est le haillon.

Songer à décroître. Il n’est pas de pensée plus triste.

Être ruiné, cela semble simple. Coup violent ; brutalité du sort ; c’est la catastrophe une fois pour toutes. Soit. On l’accepte. Tout est fini. On est ruiné. C’est bon, on est mort. Point. On est vivant. Dès le lendemain, on s’en aperçoit. À quoi ? À des piqûres d’épingle. Tel passant ne vous salue plus, les factures des marchands pleuvent, voilà un de vos ennemis qui rit. Peut-être rit-il du dernier calembour d’Arnal, mais c’est égal, ce calembour ne lui semble si charmant que parce que