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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

vous êtes ruiné. Vous lisez votre amoindrissement même dans les regards indifférents ; les gens qui dînaient chez vous trouvent que c’était trop de trois plats à votre table ; vos défauts sautent aux yeux de tout le monde ; les ingratitudes, n’attendant plus rien, s’affichent ; tous les imbéciles ont prévu ce qui vous arrive ; les méchants vous déchirent, les pires vous plaignent. Et puis cent détails mesquins. La nausée succède aux larmes. Vous buviez du vin, vous boirez du cidre. Deux servantes ! C’est déjà trop d’une. Il faudra congédier celle-ci et surcharger celle-là. Il y a trop de fleurs dans le jardin ; on plantera des pommes de terre. On donnait ses fruits à ses amis, on les fera vendre au marché. Quant aux pauvres, il n’y faut plus songer ; n’est-on pas un pauvre soi-même ? Les toilettes, question poignante. Retrancher un ruban à une femme, quel supplice ! À qui vous donne la beauté, refuser la parure ! Avoir l’air d’un avare ! Elle va peut-être vous dire : — Quoi, vous avez ôté les fleurs de mon jardin, et voilà que vous les ôtez de mon chapeau ! — Hélas ! La condamner aux robes fanées ! La table de famille est silencieuse. Vous vous figurez qu’autour de vous on vous en veut. Les visages aimés sont soucieux. Voilà ce que c’est que décroître. Il faut remourir tous les jours. Tomber, ce n’est rien, c’est la fournaise. Décroître, c’est le petit feu.

L’écroulement, c’est Waterloo ; la diminution, c’est Sainte-Hélène. Le sort, incarné en Wellington, a encore quelque dignité ; mais quand il se fait Hudson Lowe, quelle vilenie ! Le destin devient un pleutre. On voit l’homme de Campo-Formio querellant pour une paire de bas de soie. Rapetissement de Napoléon qui rapetisse l’Angleterre.