Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
274
LES TRAVAILLEURS DE LA MER

voix sortit du massif, plus douce qu’une voix de femme, une voix d’homme pourtant. Gilliatt entendit ces paroles :

— Mademoiselle, je vous vois tous les dimanches et tous les jeudis ; on m’a dit qu’autrefois vous ne veniez pas si souvent. C’est une remarque qu’on a faite, je vous demande pardon. Je ne vous ai jamais parlé, c’était mon devoir ; aujourd’hui je vous parle, c’est mon devoir. Je dois d’abord m’adresser à vous. Le Cashmere part demain, c’est ce qui fait que je suis venu. Vous vous promenez tous les soirs dans votre jardin. Ce serait mal à moi de connaître vos habitudes si je n’avais pas la pensée que j’ai. Mademoiselle, vous êtes pauvre ; depuis ce matin je suis riche. Voulez-vous de moi pour votre mari ?

Déruchette joignit ses deux mains comme une suppliante, et regarda celui qui lui parlait, muette, l’œil fixe, tremblante de la tête aux pieds.

La voix reprit :

— Je vous aime. Dieu n’a pas fait le cœur de l’homme pour qu’il se taise. Puisque Dieu promet l’éternité, c’est qu’il veut qu’on soit deux. Il y a pour moi sur la terre une femme, c’est vous. Je pense à vous comme à une prière. Ma foi est en Dieu et mon espérance est en vous. Les ailes que j’ai, c’est vous qui les portez. Vous êtes ma vie, et déjà mon ciel.

— Monsieur, dit Déruchette, il n’y a personne pour répondre dans la maison.

La voix s’éleva de nouveau :

— J’ai fait ce doux songe. Dieu ne défend pas les songes. Vous me faites l’effet d’une gloire. Je vous aime passion-