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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

fait que de sentir que je vous aimais. Quelquefois mes yeux se sont levés sur vous. J’ai eu tort, mais comment faire ? C’est en vous regardant que tout est venu. On ne peut s’empêcher. Il y a des volontés mystérieuses qui sont au-dessus de nous. Le premier des temples, c’est le cœur. Avoir votre âme dans ma maison, c’est à ce paradis terrestre que j’aspire, y consentez-vous ? Tant que j’ai été pauvre, je n’ai rien dit. Je sais votre âge. Vous avez vingt et un ans, j’en ai vingt-six. Je pars demain ; si vous me refusez, je ne reviendrai pas. Soyez mon engagée, voulez-vous ? Mes yeux ont déjà, plus d’une fois, malgré moi, fait aux vôtres cette question. Je vous aime, répondez-moi. Je parlerai à votre oncle dès qu’il pourra me recevoir, mais je me tourne d’abord vers vous. C’est à Rebecca qu’on demande Rebecca. À moins que vous ne m’aimiez pas.

Déruchette pencha le front, et murmura :

— Oh ! Je l’adore

Cela fut dit si bas que Gilliatt seul entendit.

Elle resta le front baissé comme si le visage dans l’ombre mettait dans l’ombre la pensée.

Il y eut une pause. Les feuilles d’arbres ne remuaient pas. C’était ce moment sévère et paisible où le sommeil des choses s’ajoute au sommeil des êtres, et où la nuit semble écouter le battement de cœur de la nature. Dans ce recueillement s’élevait, comme une harmonie qui complète un silence, le bruit immense de la mer.

La voix reprit :

— Mademoiselle.

Déruchette tressaillit.