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DÉPART DU « CASHMERE »

L’église de Saint-Pierre-Port, triple pignon juxtaposé avec transept et flèche, est au bord de l’eau au fond du port, presque sur le débarcadère même. Elle donne la bienvenue à ceux qui arrivent et l’adieu à ceux qui s’en vont. Cette église est la majuscule de la longue ligne que fait la façade de la ville sur l’océan.

Elle est en même temps paroisse du district de Saint-Pierre-Port et doyenné de toute l’île. Elle a pour desservant le subrogé de l’évêque, clergyman à pleins pouvoirs.

Le havre de Saint-Pierre-Port, très beau et très large port aujourd’hui, était à cette époque, et il y a dix ans encore, moins considérable que le havre de Saint-Sampson. C’étaient deux grosses murailles cyclopéennes courbes partant du rivage à tribord et à bâbord, et se rejoignant presque à leur extrémité, où il y avait un petit phare blanc. Sous ce phare un étroit goulet, ayant encore le double anneau de la chaîne qui le fermait au moyen âge, donnait passage aux navires. Qu’on se figure une pince de homard entr’ouverte, c’était le havre de Saint-Pierre-Port. Cette tenaille prenait sur l’abîme un peu de mer qu’elle forçait à se tenir tranquille. Mais par les vents d’est, il y avait du flot à l’entre-bâillement, le port clapotait, et il était plus sage de ne point entrer. C’est ce qu’avait fait ce jour-là le Cashmere. Il avait mouillé en rade.

Les navires, quand il y avait du vent d’est, prenaient volontiers ce parti qui, en outre, leur économisait les frais de port. Dans ce cas, les bateliers commissionnés de la ville, brave tribu de marins que le nouveau port a destituée, venaient prendre dans leurs barques, soit à l’embarcadère,