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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

quand c’est un bâtiment anglais : For ladies only. La tête de Déruchette était sur l’épaule d’Ebenezer, le bras d’Ebenezer était derrière la taille de Déruchette ; ils se tenaient les mains, les doigts entre-croisés dans les doigts. Les nuances d’un ange à l’autre étaient saisissables sur ces deux exquises figures faites d’innocence. L’une était plus virginale, l’autre était plus sidérale. Leur chaste embrassement était expressif. Tout l’hyménée était là, toute la pudeur aussi. Ce banc était déjà une alcôve et presque un nid. En même temps, c’était une gloire ; la douce gloire de l’amour en fuite dans un nuage.

Le silence était céleste.

L’œil d’Ebenezer rendait grâce et contemplait ; les lèvres de Déruchette remuaient ; et dans ce charmant silence, comme le vent portait du côté de terre, à l’instant rapide où le sloop glissa à quelques toises de la chaise Gild-Holm-’Ur, Gilliatt entendit la voix tendre et délicate de Déruchette qui disait :

— Vois donc. Il semblerait qu’il y a un homme dans le rocher.

Cette apparition passa.

Le Cashmere laissa la pointe du Bû de la Rue derrière lui et s’enfonça dans le plissement profond des vagues. En moins d’un quart d’heure, sa mâture et ses voiles ne firent plus sur la mer qu’une sorte d’obélisque blanc décroissant à l’horizon. Gilliatt avait de l’eau jusqu’aux genoux.

Il regardait le sloop s’éloigner.

La brise fraîchit au large. Il put voir le Cashmere hisser ses bonnettes basses et ses focs pour profiter de cette