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LE REVOLVER

et mon serre-gouttière en capilotade. On sort de là avec toutes ses voiles mangées. Des frégates de cinquante font eau comme des paniers. Et la mauvaise diablesse de côte ! Rien de plus bourru. Des rochers déchiquetés comme par enfantillage. On approche du Port-Famine. Là, c’est pire que pire. Les plus rudes lames que j’aie vues de ma vie. Des parages d’enfer. Tout à coup on aperçoit ces deux mots écrits en rouge : Post-Office.

— Que voulez-vous dire, capitaine Gertrais ?

— Je veux dire, capitaine Clubin, que tout de suite après qu’on a doublé la pointe Anna on voit sur un caillou de cent pieds de haut un grand bâton. C’est un poteau qui a une barrique au cou. Cette barrique, c’est la boîte aux lettres. Il a fallu que les anglais écrivent dessus : Post-Office. De quoi se mêlent-ils ? C’est la poste de l’océan ; elle n’appartient pas à cet honorable gentleman, le roi d’Angleterre. Cette boîte aux lettres est commune. Elle appartient à tous les pavillons. Post-Office ! est-ce assez chinois ! ça vous fait l’effet d’une tasse de thé que le diable vous offrirait tout à coup. Voici maintenant comme se fait le service. Tout bâtiment qui passe expédie au poteau un canot avec ses dépêches. Le navire qui vient de l’Atlantique envoie ses lettres pour l’Europe, et le navire qui vient du Pacifique envoie ses lettres pour l’Amérique. L’officier commandant votre canot met dans le baril votre paquet et y prend le paquet qu’il y trouve. Vous vous chargez de ces lettres-là ; le navire qui viendra après vous se chargera des vôtres. Comme on navigue en sens contraire, le continent d’où vous venez, c’est celui où je vais. Je porte vos lettres, vous por-