Page:Hugo - Ruy Blas, édition 1839.djvu/13

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et dégénère ; un mortel affaiblissement se fait sentir à tous au dehors comme au dedans ; les grandes choses de l’État sont tombées, les petites seules sont debout : triste spectacle public ; plus de police, plus d’armée, plus de finances ; chacun devine que la fin arrive. De là, dans tous les esprits, ennui de la veille, crainte du lendemain, défiance de tout homme, découragement de toute chose, dégoût profond. Comme la maladie de l’État est dans la tête, la noblesse, qui y touche, en est la première atteinte. Que devient-elle alors ? Une partie des gentilshommes, la moins honnête et la moins généreuse, reste à la cour. Tout va être englouti, le temps presse, il faut se hâter, il faut s’enrichir, s’agrandir et profiter des circonstances. On ne songe plus qu’à soi. Chacun se fait, sans pitié pour le pays, une petite fortune particulière dans un coin de la grande infortune publique. On est courtisan, on est ministre, on se dépêche d’être heureux et puissant. On a de l’esprit, on se déprave, et l’on réussit. Les ordres de l’État, les dignités, les places, l’argent, on prend tout, on veut tout, on pille tout. On ne vit plus que par l’ambition et la cupidité. On cache les désordres secrets que peut engendrer l’infirmité humaine sous beaucoup de gravité extérieure. Et, comme cette vie acharnée aux vanités et aux jouissances de l’orgueil a pour première condition l’oubli de tous les sentiments naturels, on y devient féroce. Quand le jour de la disgrâce arrive, quelque chose de monstrueux se développe dans le courtisan tombé, et l’homme se change en démon.

L’état désespéré du royaume pousse l’autre moitié