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Scène QUATRIÈME.

RUY BLAS, seul.
Il est comme absorbé dans une contemplation angélique.

Adieu.Devant mes yeux c’est le ciel que je voi !
De ma vie, ô mon Dieu ! cette heure est la première.
Devant moi tout un monde, un monde de lumière,
Comme ces paradis qu’en songe nous voyons,
S’entr’ouvre en m’inondant de vie et de rayons !
Partout, en moi, hors moi, joie, extase et mystère,
Et l’ivresse, et l’orgueil, et ce qui sur la terre
Se rapproche le plus de la Divinité,
L’amour dans la puissance et dans la majesté !
La reine m’aime ! ô Dieu ! c’est bien vrai, c’est moi-même.
Je suis plus que le roi puisque la reine m’aime !
Oh ! cela m’éblouit. Heureux, aimé, vainqueur !
Duc d’Olmedo, — l’Espagne à mes pieds, — j’ai son cœur !
Cet ange qu’à genoux je contemple et je nomme,
D’un mot me transfigure et me fait plus qu’un homme.
Donc je marche vivant dans mon rêve étoilé !
Oh ! oui, j’en suis bien sûr, elle m’a bien parlé.
C’est bien elle. Elle avait un petit diadème
En dentelle d’argent. Et je regardais même,
Pendant qu’elle parlait, — je crois la voir encor, —
Un aigle ciselé sur son bracelet d’or.
Elle se fie à moi, m’a-t-elle dit. — Pauvre ange !
Oh ! s’il est vrai que Dieu, par un prodige étrange,