Page:Hugo - Ruy Blas, édition 1839.djvu/149

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Et je devine bien que c’est contre la reine !
Qu’est-ce que je vais faire ? Aller lui dire tout ?
Ciel ! devenir pour elle un objet de dégoût
Et d’horreur ! un Crispin ! un fourbe à double face !
Un effronté coquin qu’on bâtonne et qu’on chasse !
Jamais ! — Je deviens fou, ma raison se confond !

Une pause. Il rêve.

Ô mon Dieu ! voilà donc les choses qui se font !
Bâtir une machine effroyable dans l’ombre,
L’armer hideusement de rouages sans nombre,
Puis, sous la meule, afin de voir comment elle est,
Jeter une livrée, une chose, un valet,
Puis la faire mouvoir, et soudain sous la roue
Voir sortir des lambeaux teints de sang et de boue,
Une tête brisée, un cœur tiède et fumant,
Et ne pas frissonner alors qu’en ce moment
On reconnaît, malgré le mot dont on le nomme,
Que ce laquais était l’enveloppe d’un homme !

Se tournant vers don Salluste.

Mais il est temps encore ! oh ! monseigneur, vraiment !
L’horrible roue encor n’est pas en mouvement !

Il se jette à ses pieds.

Ayez pitié de moi ! grâce ! ayez pitié d’elle !
Vous savez que je suis un serviteur fidèle !
Vous l’avez dit souvent ! voyez ! je me soumets !
Grâce !

Don Salluste.

Grâce !Cet homme-là ne comprendra jamais.